De Moscou à Beijing à bord du Transsibérien

La vie sur rails

Cet article est paru dans le numéro d'avril 2005 du (défunt) magazine Müv. Ce magazine était publié conjointement par Tourisme Jeunesse, Voyages Campus et Espresso Communications. Il était distribué à 25 000 exemplaires, gratuitement, sur les campus collégiaux et universitaires du Québec, dans les agences Voyages Campus, les Boutiques Tourisme Jeunesse, les auberges de jeunesse Hostelling International du Québec, les Carrefours Jeunesse-Emploi, les bureaux d'Allo-Stop et les cliniques Santé-Voyages.

Je le recopie ici avec les mêmes photos que dans la version papier du magazine.

En voyageant sur plus de 15 000 kilomètres de rails, on ne peut souhaiter qu’une chose: que le trajet ne soit pas trop ennuyant. Aventure à bord d'un des trains les plus célèbres, le Transsibérien.

Kilomètre 0: Moscou

Moscou... «J’y suis enfin», répétais-je dans ma tête durant mon séjour dans la capitale russe. J’aurais pu facilement écrire un article complet sur Moscou, tant cette ville est fascinante. Moscou en 2004 est en opposition avec toutes les images que nous avions de cette ville il y a 15 ans. Vibrante, vivante, riche culturellement, historiquement et... financièrement. Moscou garde jalousement tous les capitaux pour elle. La ville est d’ailleurs l’une des plus chères du monde.

Malgré tout, Moscou a un côté mythique, presque mystique. La nuit venue, lorsqu’on se trouve au centre de la Place Rouge, entouré des murs du Kremlin et de la superbe cathédrale Saint-Basile illuminée, on ne peut s’empêcher de sourire. Je suis resté à Moscou une semaine de plus que les dix jours prévus.

À partir de cette ville inoubliable, j’ai amorcé ma longue route vers l’est. Même si j’ai rencontré beaucoup de gens intéressants lors de mes arrêts, ce ne sont pas mes escales qui ont marqué ce voyage, mais mes déplacements.

53, 56 et 62 heures dans un train

On pourrait penser qu’un trajet de 62 heures en train est long et ennuyeux. Bien au contraire. Le périple tire déjà à sa fin alors qu’on commence à peine à y prendre goût! On ne sait pas vraiment ce que l’on a fait, mais le temps passe rapidement. On lit, on regarde le paysage, on prépare la bouffe, on la mange, on parle, on dort, on boit du thé, on re-mange... La sieste de l’après-midi est parfaite pour s’ajuster au décalage horaire (la Russie compte huit fuseaux). On peut sortir lors des arrêts plus longs et aller fouiner dans les étals de nourriture sur les quais.

Regarder par la fenêtre est aussi un passe-temps très agréable. Aux collines succèdent les forêts, les maisons de bois et leur jardin coloré, sans compter les grandes étendues de la Sibérie. À l’est du lac Baïkal, une rivière nous accompagne presque continuellement en serpentant le long de la route. Sans aucun doute le plus beau segment de la ligne. En fait, c’est comme si on était en camping un jour de pluie, sauf que le décor change constamment. En arrière-fond sonore, le mouvement des roues donne le tempo: toctoc, toctoc......... toctoc, toctoc !

De temps en temps, on salue ses voisins de compartiment, ses voisins de lit. Bien sûr, on nous demande d’où l’on vient, pourquoi on est ici, notre nom, ce que l’on fait dans la vie et d’autres questions du genre. La barrière de la langue est-elle un problème? Avec un peu de bonne volonté, un dictionnaire de langue et surtout du temps qu’on ne compte pas de la même façon: non! Quelle importance de prendre deux heures pour savoir ce que fait l’un et l’autre dans la vie?

On découvre alors des gens généreux et curieux de nous connaître, comme ce monsieur retraité qui offre la vodka et qui était électricien dans la construction des wagons (ou était-ce dans la réparation?). Comme cette famille qui m’offre du poulet au déjeuner et de la bière avec du poisson séché en soirée. Comme cet ingénieur dans la vingtaine qui offre de me reconduire à l’arrêt d’autobus avec son ami et qui en profite pour me faire visiter sa ville en mode express.

Tout au long de l’aventure, j’ai l’impression de voyager en dehors du temps. Dans le train, c’est toujours l’heure de Moscou, même si l’on est rendu quatre fuseaux plus à l’est! Lorsque je monte à bord, je pose mes sacs, le train part et je me retrouve dans un monde parallèle.

Route post-Russie

C’est à Ulan-Ude que la ligne se divise pour aller d’un côté vers Vladivostok, de l’autre vers Beijing avec la ligne du Transmongolien. Arrivé à la frontière russe, on s’attend à se faire demander un pot-de-vin par des douaniers véreux. Erreur! Voici un extrait de mon journal de bord qui rappelle cet épisode, au kilomètre 5895:

Nous sommes arrivés à 12h30. Jusqu’à 15h00, rien ne s’est passé, mais rien! On a pu sortir du train, poster les cartes postales, acheter de la bouffe, marcher dehors sous le chaud soleil. Le train est sorti de la gare alors que j’étais à l’extérieur. On devait détacher certains wagons et en attacher d’autres. Il fallait changer la locomotive pour une autre à moteur diesel, la ligne de train n’étant pas électrifiée en Mongolie. Le train est finalement revenu à 15h20. À 16h00, il fallait regagner le train, car les contrôleurs douaniers commençaient leur travail... Un homme a regardé rapidement notre passeport, puis il est parti. Un petit chien du type poodle frisé est passé dans le corridor. Il n’a rien senti et n’est même pas entré dans les compartiments. Mon bagage était sous le banc, celui de mes voisins sur le lit du haut. L’ambiance était plutôt détendue. Rien de trop stressant, pas de gueule des douaniers. Une atmosphère bon enfant!

Le train repart et traverse la frontière de la Mongolie. Déjà, au premier arrêt, la différence est palpable, on ressent une certaine légèreté dans l’air, comme si la Mongolie toute entière se prenait moins au sérieux que sa sévère voisine du nord. Idem à Ulaan-Baatar, sa capitale. Après la Russie, on a l’impression qu’une armée de massothérapeutes est passée en Mongolie pour en retirer toute tension. On y est à l’aise, détendu. Elle mérite un arrêt et surtout, de grâce, prévoyez aussi quelques jours ou plus pour explorer le pays. Les paysages mongols sont à couper le souffle.

Après trois semaines au pays de Genkhis Khan, je repars pour le dernier segment de ce pèlerinage du rail, de Ulaan-Baatar vers Beijing. La particularité de ce tronçon est sans nul doute la frontière mongolo-chinoise, alors que l’on doit y changer les roues du train. Les buggys, en fait. C’est que la Russie a un écartement de voie plus large que les pays d’Europe ou de la Chine (1520 mm contre 1435 mm). Ce choix aurait été motivé par des raisons militaires, afin de prévenir l'utilisation du réseau ferroviaire par d'éventuels envahisseurs. Le système est impressionnant: les trains sont amenés dans un hangar et les wagons sont détachés les uns des autres. Des hommes détachent le buggy sous le train (le bloc de quatre roues à chaque extrémité du wagon) et de puissants vérins hydrauliques aux quatre coins de chaque wagon les soulèvent. Durant toute l’opération, nous sommes toujours confinés à notre wagon. On change tous les buggys avant de redescendre les wagons en place. Durée de l’opération? Environ 1h30. Impressionnant!

Le lendemain matin, on se réveille à quelques centaines de kilomètres de Beijing. La brume est présente et enveloppe les montagnes environnantes. Cela correspond tellement à l’image que j’ai en tête de la Chine que je me demande si tout est réel. Puis soudain, le train passe près des segments de la Grande Muraille et tous se pressent à la fenêtre. Pas de doute possible, nous sommes en Chine. Bientôt, à 7835 kilomètres de Moscou, ce sera l’arrivée à Beijing. Fin d’un périple. Fin d’une aventure extraordinaire.